vendredi 8 juin 2012

Ragefeu : refoulement du meurtre du père

Le monde de World of Warcraft est vaste. Certaines zones du jeu sont appelées des instances. Ces instances permettent à un groupe de joueurs de combattre les dangers qui s’y cachent sans être dérangés (ou aidés) par d’autres joueurs. La première de ces instances est le Gouffre de Ragefeu, accessible aux joueurs de niveau 15. Ce premier donjon est petit mais permet de se familiariser avec le système du jeu à cinq joueurs. Un joueur seul de niveau 15 ne peut affronter les périls du Gouffre.
Arrêtons-nous un moment sur l’importance scénaristique de ce donjon. En effet, en tant que donjon initiatique, il donne aussitôt le ton et s’avère d’ailleurs directement lié au destin de Thrall que nous connaissons depuis la fin du Cataclysme.
Le gouffre de Ragefeu est une grotte située en-dessous de la capitale des orcs, Orgrimmar. L’entrée de cette grotte se situe dans la Faille de l’Ombre et évoque une gueule béante. Elle abrite des membres de la Lame Ardente, qui n’est autre qu’un groupuscule appartenant au Conseil des Ombres. Ce Conseil des Ombres est tout-à-fait central dans l’histoire du peuple orque. En effet, il s’agit d’un groupe créé à l’initiative de Gul’dan, anciennement chef spirituel des orcs. La particularité de Gul’dan est qu’il délaissa le lien avec les esprits de la nature afin de conclure un pacte avec une entité démoniaque qui contamina les orcs de Nagrand. Gul’dan est dès lors à l’origine des guerres contre les autres races et de l’invasion d’Azéroth. Afin d’évincer les chefs de clans qui ne se ralliaient pas à sa cause, il décida de les assassiner. Tel fut le sort de Durotan... père d’un nouveau né qu’un humain recueillit et prénomma Thrall. Le destin de Thrall sera de retrouver sa liberté, de purifier ses semblables de la contamination démoniaque, de renouer avec la puissances des esprits ancestraux, de rassembler les tribus orques, de rallier d’autres peuples à sa cause et de maintenir une cohésion au sein d’une nouvelle faction, la Horde. Orgrimmar représente symboliquement l’achèvement de ces objectifs. La capitale se dresse dans un désert aride dont le nom évoque le père de Thrall : Durotar. Ce détail n’est probablement pas dû au hasard : c’est confronté à l’absence de son père que Thrall devra construire son identité en se nourrissant de différents maîtres que je n’évoquerai pas ici. Notons juste que l’ambiance aride, suffocante et désertique de Durotar (mais aussi d’Orgrimmar) semble renvoyer au manque émotionnel provoqué par la mort du père de Thrall. Cet héritage mortifère sera transcendé par ce chef orc mais restera continuellement latent. Le Gouffre de Ragefeu est une directe émanation de ce retour du passé. Orgrimmar est en constant danger d’invasion des agents du Conseil des Ombres, ce même conseil qui a assassiné son père. La situation géographique du Gouffre, situé sous la ville dans la Faille de l’Ombre, évoque les zones cachées, inconscientes, du psychisme. C’est dans ces zones inconscientes que le souvenir du meurtre du père s’avère relégué. Thrall n’en parle jamais ouvertement et pour cause, il tente de maintenir ce souvenir au fond de lui-même. Or, l’esprit humain ne se satisfait jamais de l’oubli. Au contraire, les souvenirs douloureux ne restent jamais définitivement dans l’ombre et ressurgissent de manière impromptue. Oui, Orgrimmar est une puissante forteresse qui résiste aux assauts des ennemis extérieurs. Mais voilà, elle est menacée par un petit groupuscule qui reste tapi dans ses fondations.
Le combat contre les lieutenants du Conseil des Ombres dans le Gouffre de Ragefeu renvoie à un mécanisme de refoulement des souvenirs douloureux de Thrall. Les tuer, c’est apaiser la mémoire en souffrance. Bien évidemment, ils ne meurent jamais et l’effort doit être continuellement répété. Ce mécanisme de refoulement psychique est banal et normal. Il vise à désinvestir certaines pensées (des représentations psychiques) afin d’en investir d’autres, moins dangereuses, moins porteuses d’angoisse. La victoire des joueurs dans le Gouffre de Ragefeu signe donc le succès des mécanismes de refoulement  des représentations anxiogènes liées au passé de Thrall.

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